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Méditation Zen

Dernière mise à jour : 22 févr. 2022


Si vous désirez vraiment réaliser ce qu’est le zen, ne vous contentez pas de lire cet article. Prenez plutôt un coussin de 20 à 30 cm d’épaisseur, placez-le à un mètre du mur de votre chambre et asseyez-vous dessus en vous tournant face au mur. Croisez les jambes devant vous de façon que vos genoux pressent le sol, le mieux étant de placer le pied droit sur la cuisse gauche, le pied gauche étant ramené contre le coussin. Vous pouvez aussi placer le pied gauche sur la cuisse droite. Mettez ensuite votre main gauche sur votre main droite, paumes tournées vers le haut, les pouces horizontaux se touchent en formant avec les index un bel ovale. Le tranchant des mains est placé contre le bas ventre. À partir de là, redressez la colonne vertébrale et tendez la nuque comme si vous vouliez pousser le ciel avec la tête. Rentrez le menton. Le nez doit être à la verticale du nombril, les oreilles à la verticale des épaules, et votre regard est posé à un mètre devant vous sur le sol. Dans cette posture respirez calmement par le nez en vous concentrant sur l’expiration, qui doit être lente, profonde, imperceptible. À la fin de l’expiration, inspirez rapidement sans rester poumons vides, puis expirez de nouveau.

Restez ainsi calmement assis, sans penser à rien de spécial. Contentez-vous d’observer votre posture et de la corriger, d’observer votre respiration en détendant bien le plexus solaire et en allongeant progressivement l’expiration. Ne cherchez pas à faire le vide dans votre esprit, n’entretenez aucune pensée consciente, observez simplement ce qui apparaît et disparaît d’instant en instant. Ne soyez dérangé par rien. Laissez passer vos pensées et soyez aussi immobile qu’une montagne.

La pratique que vous venez d’expérimenter c’est zazen. Maître Deshimaru qui l’introduisit en Europe en 1967 ne cessa d’enseigner pendant quinze ans que le zen c’est seulement zazen. Il ne fit jamais une conférence sans montrer longuement la posture et inviter les auditeurs à pratiquer. Beaucoup l’ont suivi, et pratiquent quotidiennement zazen. Bien que cette pratique vienne d’Orient, elle n’a rien d’exotique. Zazen vise directement le cœur de l’homme. Lorsque l’on fait zazen, il n’y a ni notion d’Orient, ni d’Occident, ni d’intérieur, ni d’extérieur. Il y a seulement un corps et un esprit assis en zazen.

À l’heure actuelle, beaucoup de gens vivent comme des fantômes flottant à la dérive, à la surface de l’existence. Pratiquer zazen, c’est retrouver ses véritables racines, pénétrer la réalité de notre vie. C’est comme rentrer à la maison après avoir erré longtemps sur des terres étrangères. Celui qui pratique zazen devient intime avec lui-même, intime avec les autres pratiquants, intime avec tout l’Univers. Intime, c’est-à-dire sans séparation, sans opposition ; intime, c’est-à-dire comme « l’eau et le poisson, le ciel et l’oiseau » ; intime, c’est comme une mère avec son enfant.

Parfois, quand on dit que le zen se confond avec le zazen, certains sont déçus. Ils disent, c’est seulement ça ? Oui. C’est comme un voleur entrant dans une pièce vide. Il n’y a rien à voler. Le réaliser est une véritable révolution intérieure. On peut abandonner cet esprit de profit qui nous pousse à courir sans cesse d’un objet à l’autre. Le zazen n’est pas une forme d’ascétisme. Mais il faut se demander finalement : quel est le vrai bonheur de notre vie ? Est-ce courir sans trêve ni répit après les richesses, le succès, les honneurs, le plaisir, le satori ? Bien sûr, être privé de ce qu’on aime, devoir supporter ce qu’on déteste est cause de souffrance. Mais il suffit de s’observer un peu soi-même et d’observer les autres autour de soi pour se rendre compte que, même au cas où l’on obtient une chose, on en veut bientôt une autre, comme si le véritable objet de notre désir, la vraie satisfaction, nous échappait sans cesse. Pratiquer zazen, c’est arrêter ce mouvement, stopper cette course folle, réaliser le demi-tour qui tourne notre regard vers l’intérieur. Apprendre à se connaître soi-même : connaître son propre corps et l’habiter pleinement. Ne pas l’utiliser comme un objet ou une machine.

En zazen, on réalise que le corps et l’esprit sont unité. Les mouvements de notre esprit, nos émotions et nos actions passées laissent une trace dans nos muscles. Le destin ne se reflète pas seulement sur le visage, mais aussi dans la posture du dos, de la nuque et de la tête. Tous les conflits psychologiques et les tensions s’impriment dans les muscles et les tendons et créent toutes sortes de tensions dans le corps. Ces tensions créent de la fatigue, brisent l’élan vital et absorbent l’énergie de l’être humain. Nombreux sont ceux qui se réveillent fatigués dès le matin, car même pendant leur sommeil ils n’ont pu se détendre. Pratiquer zazen, c’est prendre conscience de ces tensions et les relâcher. Cela revient à repasser une étoffe chiffonnée.

Zazen permet de retrouver la condition normale du corps et de l’esprit, à travers une posture forte et équilibrée et une respiration profonde où les poumons se vident complètement. La plupart des gens ne savent pas expirer. Ce verbe connote la mort. Quand on est très attaché à la vie et qu’on a peur de mourir, on reste poumons pleins, comme accroché à une bouée de peur de couler. Mais cette attitude conduit à une véritable auto-asphyxie.

Pour pouvoir inspirer pleinement, il faut commencer par vider ses poumons jusqu’au fond, sans y laisser stagner le gaz carbonique qui empoisonne le sang et crée de la fatigue. La respiration du zazen redonne une grande énergie qui se concentre dans le bas ventre, le centre vital du corps, tandis que les centres supérieurs de l’intellect et des émotions se calment.

Les études neurophysiologiques faites sur les pratiquants ont montré pendant zazen que le cerveau intellectuel et analytique, le cerveau de la volonté consciente (cerveau frontal et cerveau gauche), se calment, et que, par contre, le cerveau droit et le cerveau profond, sièges de l’intuition et de la régulation du système nerveux autonome, sont activés.

Si un choc se produit, le cerveau revient très vite à son rythme propre au zazen (alpha lent), ce qui montre que l’effet du stress est tout à fait réduit.

Ces études confirment ce que les pratiquants de zazen savent par leur propre expérience. Le zazen rééquilibre le corps et l’esprit. Il fait place à un fonctionnement bien oublié à l’heure actuelle : la pensée par le corps tout entier, la pensée inconsciente. Cette expression paraît paradoxale. La pensée inconsciente est l’art essentiel du zazen : c’est la conscience hishiryo. Maître Yakusan faisait zazen quand un disciple lui demanda : « Maître, à quoi pensez-vous assis aussi fermement qu’un roc ? » Yakusan répondit : « Je pense du tréfonds de la non-pensée. » Le disciple demanda : « Comment faites-vous ? » Yakusan répondit : Hishiryo ».

Hishiryo signifie au-delà de la pensée consciente. C’est une attitude attentive de l’esprit non orientée par un but, ne poursuivant aucune pensée, ne s’attachant pas non plus à la non-pensée. C’est un état de grande vigilance, où l’on peut s’observer soi-même profondément. Mais ce n’est pas seulement observer son ego. L’ego, le moi dans le Zen, doit être dépassé. Il est constitué par l’accumulation de notre karma, c’est-à-dire l’accumulation de nos pensées, paroles et actions passées. Il n’est autre qu’une fausse identification à ces images que nous nous sommes faites de nous-même et que nous envoient les autres. Vivre seulement au niveau de son ego, c’est être prisonnier de ces images. S’identifier à ce que nous ne sommes pas mais que nous croyons ou désirons être, est cause de souffrance pour soi et pour les autres. C’est l’illusion, l’état d’ignorance, que l’on appelle mu myo dans le Zen. C’est la source de l’égoïsme qui nous emprisonne. En zazen, on peut réaliser que si ces images dans le miroir sont une partie de nous-même, nous ne sommes pas ces images. Le sujet qui fait zazen se situe dans une dimension bien au-delà du petit ego limité. Zazen n’est pas seulement étudier cet ego, c’est l’abandonner, abandonner les images qui passent devant le miroir et être en unité avec le cosmos, suivre l’ordre cosmique.

Cette expérience, source de vraie liberté, revient à couper la racine, réaliser que notre ego comme l’univers entier sont sans substance propre. Sans substance, veut dire interdépendant. La perception de cette interdépendance crée un sentiment de solidarité complète avec tous les êtres.

L’être humain n’est pas seulement inscrit dans le karma du langage et de la culture, il est aussi en unité avec la grande nature. Chacune des sciences humaines ou physiques observe l’homme sous un angle particulier. Mais la somme de toutes ces visions ne reconstituera jamais un homme vivant, car la vie d’un être humain est finalement au-delà de toutes les analyses possibles, cet au-delà c’est la vie, et c’est le Zen.

Rimbaud voulait changer la vie. D’autres aussi. Mais comment faire ? Dans quelle direction aller ? Qu’on le veuille ou non, de toute façon la vie est changement incessant = c’est mujo, l’impermanence.

Pour beaucoup cela est cause de souffrance car on ne peut rien garder définitivement. Vie et mort se succèdent. Comment résoudre ce problème ? Le Zen n’est pas une idéologie. Il ne propose pas de réponses, de dogmes. Il est une voie, un cheminement où l’on se concentre d’instant en instant sur chaque action. Dans l’instant concentré sur la posture de zazen, mais aussi sur chaque acte de la vie quotidienne toute opposition disparaît : chaque chose existe absolument telle qu’elle est. Si on se concentre sur chaque instant la vie devient réelle et pleine. Si on abandonne tout attachement au passé et au futur, on peut se mouvoir librement. Mais « bien qu’il en soit ainsi les fleurs tombent même si on les aime et les regrette, et la mauvaise herbe pousse même si on la déteste ». Cette expression de Maître Dogen ne signifie pas seulement qu’il est inutile de s’attacher au satori ou de vouloir couper ses illusions. Car finalement nos sentiments d’amour et de haine sont aussi la voie du Bouddha. Embrassant toutes les oppositions, la pratique de zazen fonde une véritable compassion, bien plus importante que toute pensée au sujet du bouddhisme ou du Zen.


(extrait de L’orient Intérieur. Collectif. Autrement 1985)

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