RENCONTRE AVEC SIVASAKTHI
- Présence et Sens
- 27 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 juil.
Une offrande de silence et de grâce

Il y a des rencontres qui ne relèvent ni du hasard ni de la volonté, mais d’un appel muet venu des profondeurs de l’Être. À cette époque, je voyageais en Inde depuis quelques années déjà, guidée par le souffle libre de la danse, de la musique et du chant. Je vivais alors sur la plage d’Arambol, au nord de Goa, dans cet entrelacs vibrant d’artistes, de yogis, de passants de créativité et de fantaisies. Je passais mes jours à chanter face à la mer, à danser pieds nus dans le sable, à écouter la vie battre sous la peau du monde. J’étais immergée dans un univers vibrant, bohème, où chaque jour naissait d’un geste artistique, entre les rencontres joyeuses, les spectacles un peu magiques d’individus hors normes, les danses dans la lumière du soleil ou au clair de lune, le feu des cordes de guitare et les vibrations intenses des percussions.
C’est là, dans cette légèreté, qu’un nom m’a traversée : celui de SivaSakthi Ammaiyar, une femme silencieuse. Un ami m’avait dit qu’elle offrait des darshans dans la ville sacrée de Tiruvannamalai, au pied de la montagne Arunachala. Peu de mots suffirent, peu d’informations me furent données, mais l’appel était là, clair, vibrant. Sans raison logique, une force tranquille m’appelait vers elle. Une attirance indéfinissable, comme un fil invisible tiré depuis l’étoffe de mon âme. Je pris le chemin de l’Inde intérieure, quittant la mer pour la montagne.
L’histoire raconte qu’elle a été mère, épouse, puis un jour, elle a tout quitté, son foyer, son époux, ses rôles, pour répondre à l’appel de Shiva*, un appel qui l’a conduite dans la montagne pour méditer. Elle y est restée sept ans, en silence, accompagnée seulement par l’un de ses fils. Puis elle est redescendue, et s’est installée au pied de la montagne sacrée Arunachala, dans un petit ashram où le silence devint offrande lors de darshan** journalier. C’est là que je la rencontrai.

La rencontre avec Amma SivaSakthi
Dès mon arrivée à Tiru, je partis à sa recherche. On m’indiqua un petit lieu nommé Sri SivaSakthi Ammaiyar Ashram, tout simple, peint de rose et de vert tendre. Elle y donnait deux darshans par jour, de 15 minutes environ chacun, à 10h et à 17h. J’entrai, je m’assis. L’air y était dense, d’un silence vivant. Elle arriva. Elle marchait lentement, dans toute sa simplicité. Lorsqu’elle croisa mon regard, une seconde à peine, un torrent de grâce me traversa. Les larmes jaillirent sans raison, sans cause. Un effondrement intérieur en même temps qu’une ouverture incommensurable. Les larmes coulaient comme d’elles-mêmes. Mon corps entier pleurait comme si mille digues invisibles venaient de céder. Rien ne pouvait les arrêter. Une reconnexion absolue, totale, bienheureuse. Un état de présence pure, sans frontière, sans nom, m’envahit, immobile, silencieux, immense, irradiant, me découvrant joie, espace, lumière, reliée au monde entier. Tout mon être devint silence. Dans les jours qui suivirent ce déferlement de grâce, tout semblait baigné d’une lumière nouvelle. Je marchais dans les rues de Tiruvannamalai comme on chemine dans une réalité dévoilée, une communion simple et profonde avec le vivant, sans mots, sans attente, sans filtre, sans distance, dans une joie infinie. Les journées s'écoulaient dans une grande simplicité. Je chantais seule dans ma chambre avec ma guitare, laissant couler la voix comme une offrande naturelle, un chant venu du coeur, relié à une source plus vaste. Et à chaque darshan, dans cette rencontre renouvelée avec SivaSakthi, quelque chose s’élargissait encore, comme si mon être entier s’ouvrait à l’éternité. Tout était là, présence pure, reliée au tout, dans cette vérité nue et apaisante où il n'y a rien à ajouter.

Une paix abyssale s’installa, une joie nue, et l’amour. Immense.
Je n’avais jamais vraiment médité jusque là, jamais pratiqué en tous les cas. Et pourtant, quelque chose méditait à travers moi, naturellement, sans effort. Un silence spacieux et magique m’habitait. Je n’avais plus besoin de mots. Je me sentais directement en lien avec tout ce qui vit — oiseaux, arbres, visages, étoiles... plus aucune séparation. Le monde entier vibrait comme un seul cœur. Chaque instant coulaient dans cette clarté du sacré.
Amma n’enseignait pas. Elle était l’enseignement. Pas de parole, pas de pratique. Sa présence était transmission. Elle était silence incarné, et dans ce silence, je me reconnaissais. Il n’y avait entre nous ni distance ni hiérarchie. Pas de maître, pas d’adepte. Seulement une joie partagée. Une liberté nue. Une lumière d'une douceur absolument extraordinaire que rien ne possédait.
Un jour, sans l’avoir prévu, je jetai ma cigarette. Moi, qui en fumais jusqu’à 40 par jour, n’en eus plus jamais envie, sans effort, sans lutte. Comme si le feu de vie avait pris toute la place. Comme si la présence pure avait nettoyé toute dépendance. Un saut intérieur. Une guérison sans histoire, sans intention. Juste le rayonnement de l’alignement profond, de l’amour qui consume l’ancien.
Ce lieu d’être que je touchais en sa présence est devenu mon espace intérieur. Même loin d’elle, je restais immergée dans ce silence vibrant. Lorsque je quittai Tiruvannamalai, je partis libre, sans attachement. Le lien ne passait pas par la forme. Il était pur lien d’Essence, au-delà du visible, au-delà même du vivant.
Quelques années plus tard, j’étais en France. Je ne pouvais plus aller en Inde. Les moyens me manquaient. Je ressentais une forme d’errance. Un exil de l’âme. Puis, une nuit, un rêve intense m’a saisie. Je me trouvais dans un long couloir. Des visages défilaient autour de moi, absents, vides, des êtres traversés par le monde sans y être présents. J’avançais, encore et encore, dans cette densité grise et sans fin. Et puis, au bout du couloir, une lumière. Une femme, debout, les mains jointes en namaste, le regard vibrant d’une intensité solaire. C’était Elle. Amma. SivaSakthi. Elle me regardait droit dans l’âme, comme on regarde depuis l’autre rive. Il y avait dans son regard un message silencieux, comme une bonne nouvelle, un chant intérieur, une bénédiction. Je m’avançais vers elle, traversant ce monde vide, attirée comme par le cœur même de l’univers. Et je me réveillai.
Peu de temps après, un alignement imprévu des circonstances se produisit. Sans que je ne le cherche, les choses se débloquèrent. Et je repartis. Je retournai à Tiruvannamalai, au pied d’Arunachala, auprès d’Elle. Le lien n’avait jamais été rompu. Il était vivant, intemporel.

En sa présence, il n’y avait ni guru ni disciple. Il n’y avait qu’un seul Être. Un seul cœur, une seule joie, une seule vérité : la Vie dans sa forme la plus nue.
Ce qu’elle est, je le suis. Ce qu’elle voit, je le vois. Ce silence, c’est le nôtre. Une seule Présence avec des saveurs différentes
Quand Amma quitta son corps, des années plus tard, j’étais sur l’île de Porquerolles. En pleine nuit, à 2h du matin, je me réveillai, et sans savoir pourquoi, quelque chose me poussa à ouvrir mon ordinateur. Et là, sur l’écran, la première image apparut: l’annonce de son départ en mahasamadhi. Elle était là allongée, entourée de fleurs. elle avait quitté son corps. Et pourtant, toujours présente dans l’invisible. Mon coeur vibra en résonnance avec son être.
Rien ne s'éteint. Le lien reste intact, libre des formes, libre du temps, libre de la mort. La lumière d’une présence qui ne meurt pas. Voilà ce qu’elle m’a révélé : Dans l’espace de l’être, il n’y a aucune frontière, aucune séparation. Il n’y a que la Vie Une, la Joie Une, la Présence Une.
Gratitude infinie
Om SivaSakthiye Namaha
Jai Jai Jai Amma!
*Shiva: Shiva est vu ici comme la conscience pure
**Darshan: Vision du divin
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